Festival international du scoop d’angers

Le XXIème siècle commence bien

Ca vous étonne, la dispersion des collections de la rue Fontaine ? Moi, pas. C’est, au fond, très logique. Ne sommes-nous pas entrés depuis longtemps déjà dans l’ère de la dispersion ? Dans l’ère de l’oubli ? Dans l’ère de l’argent tout puissant ?

Ce qui est réconfortant, face à cet état de fait, c’est ce qui s’exprime sur le site remue.net. A savoir un sentiment partagé, entre révolte et écoeurement. Ne pas rester les témoins silencieux d’une dilapidation : c’est bien le moins, une manière aussi d’assumer notre impuissance à arrêter cela. Prendre la parole, c’est aussi se dresser contre. Alors, disons ensemble notre refus quand quelque chose d’important va se perdre à tout jamais.

Ce qui se perdra dans cette vente, c’est la beauté du geste qui consistait à rassembler pour faire sens, et le sens même de cette beauté. Précisément, en quoi Breton faisait œuvre d’art à travers ses collections. Ce qui se perdra, c’est beaucoup du sens de toute une vie. Dans cette vente, s’affronteront deux forces contraires. L’une éparpille et renvoie au néant. L’autre, en rassemblant, crée du sens. On sait déjà laquelle des deux vaincra.

Les collections de Breton n’ont de sens que rassemblées. Dans son article pour Le Monde du 22 décembre 2002, Michèle Champenois le dit très bien quand elle écrit : « Le grand mur de l’atelier où Breton composait, avec livres, sculptures, peintures, photographies, selon les correspondances intimes qu’il décelait entre ces éléments, un tableau vivant de ses panoramas intérieurs… ». Avec la vente du printemps 2003, ces « correspondances intimes », ce « tableau vivant » vont disparaître. Au diable les « panoramas intérieurs », c’est Breton que l’on disperse ! Il me semblait pourtant avoir compris avec le surréalisme que l’homme n’était rien sans ses « panoramas intérieurs ». Qu’on enterre cette idée-là aux dépens de son inventeur démontre tout le cynisme de notre époque.

On a aussi le sentiment que les « grandes » institutions culturelles françaises, vu leur peu d’empressement, depuis tant d’années, à bouger positivement autour des collections  de la rue Fontaine, génèrent de l’inertie à vous faire froid dans le dos. On nous dit (extrait de l’article du Monde) que « la conservation sur place (des collections de la rue Fontaine) n’était pas possible », et que « la configuration de l’endroit rendait pratiquement impossible l’ouverture au public ». Evidemment, si l’on reste enfermé dans les schémas de la culture-spectacle-objet de consommation, autrement dit des « grosses » expos dont le succès n’est plus mesuré qu’à la longueur des files d’attentes sur les trottoirs parisiens, il est impossible d’imaginer une solution adaptée à un lieu comme le 42 rue Fontaine. Faire preuve en l’occurrence d’aussi peu d’esprit d’invention est à verser au crédit de l’incompétence.

La réalité est que les « institutions », à force d’élever des murailles entre la poésie et la vie, se sont mises dans l’impossibilité de penser quelque solution que ce soit à ce type de problème. C’est peut-être cela, aujourd’hui, l’exception culturelle française…

Et pour en finir avec nos sinistres, encore ceci : y a-t-il eu, de la part des pouvoirs publics et de leurs institutions, réelle motivation pour sauver le patrimoine du surréalisme ? Je ne suis pas dans le secret des dieux, donc je me contente de m’interroger. Et cette question, je me la pose sérieusement pour la raison suivante. De deux choses l’une :

1) soit l’on considère l’œuvre d’André Breton (et, par extension, le surréalisme) comme partie intégrante de notre héritage culturel en ce qu’elle constitue une page majeure de l’histoire des arts et de la poésie, et le 42 rue Fontaine vaut d’être préservé dans la forme même que lui avait donnée son concepteur. Auquel cas, il n’y a pas à tergiverser. Quand on veut, on peut.

2) soit l’on ne considère pas André Breton (et, par extension, le surréalisme) comme suffisamment important pour consentir un quelconque effort. Ce que je crains. N’oublions pas que l’institution est capable de tolérer à la direction du musée Picasso un Jean Clair, le même qui dénonçait dans le quotidien Le Monde du 21 novembre 2001 la responsabilité des surréalistes dans l’attentat du 11 septembre contre le World Trade Center de New York ! Que peut-on attendre de cette engeance-là ?

Oui, il y avait à inventer, pour sauver la rue Fontaine, une manière de préserver une mémoire. Sans céder à la tentation d’élever un culte à son occupant. Un mausolée Breton ? Risible ! (et Breton au panthéon, ça n’aurait rien changé au problème !). L’occasion était belle. Elle aurait même pu faire école pour d’autres lieux et ainsi nourrir une réflexion à partir des expériences en cours sur la conservation de lieux comme éléments constituants d’un patrimoine culturel. Il existe déjà des maisons d’écrivains, en France. Encore faut-il, quand est haut perché sur ses certitudes, manifester à leur égard un minimum de curiosité…

Sauver l’appartement de la rue Fontaine et son contenu ? D’accord bien sûr pour pétitionner, manifester. D’accord pour mettre le doigt là où ça fait mal, je veux dire : dénoncer tout ce qui fait qu’aujourd’hui, une telle vente aux enchères est possible. Le XXIème siècle commence bien : André Breton est à l’encan ! « A quoi bon des poètes en un temps de manque ? », s’interrogeait Holderlin. N’est-ce pas le moment de reposer la question ? Et d’y répondre.