Festival international du scoop d’angers

Vente Breton, un goût amer

Après l’article d’Harry Bellet dans Le Monde. Je n’y peux rien : le 7 avril, , c’est le jour de mon anniversaire. Je n’y peux rien : je fais 42 ans cette année. Je n’y peux rien : la vente des collections d’André Breton débute ce même 7 avril à l’hôtel Drouot. Je n’y peux rien : Breton conservait ses collections au 42 rue Fontaine. Ce 7-42, ce n’est pas mon 49-3. Il n’a aucun pouvoir, il n’imposera ni n’empêchera rien. Juste une concordance de chiffres. Je n’y peux rien. Ce que je peux, par contre, c’est m’indigner du cynisme qui entoure cette vente. Je l’avais déjà dit dans le texte envoyé dès fin décembre 2002 à Laurent Margantin et François Bon : cette vente sera cynique, à l’image de notre époque. Et ce cynisme, il transparaît encore dans l’article de Harry Bellet, collaborateur au quotidien Le Monde, quand il écrit (édition du 8 avril) : « Après l’annonce de la vente en décembre 2002, une pétition est lancée qui regroupe très vite plusieurs milliers de signatures, modestes quidams ou plumes prestigieuses. Qu’un des auteurs du texte ait jadis été chassé avec pertes et fracas par Breton, qui le soupçonnait de tenter une réconciliation avec Aragon, ajoute du sel à la chose. Tous, amis et ennemis déclarés, traîtres démasqués, crapules staliniennes ou hyènes dactylographes, amoureux authentiques et sincères, se sont unis pour protester, et, comme le constatent les pétitionnaires eux-mêmes, « peu à peu le surréalisme et l’œuvre d’André Breton se révèlent être le dénominateur commun de plusieurs artistes et courants de pensée ». Eh oui, jusqu’à la Société des gens de lettres… » Je ne me considère heureusement pas comme une plume prestigieuse. Il me reste donc à me ranger parmi les modestes quidams. Ce qui me va très bien. C’est la réalité. Amoureux authentique et sincère ? Je pourrais me glisser confortablement dans ce groupe. Mais je m’y refuse parce que ce serait trop facilement me distinguer des « traîtres démasqués », des « crapules staliniennes » et des « hyènes dactylographes » qui, comme moi, ont signé l’appel lancé par Mathieu Bénézet, François Bon et Laurent Margantin. L’acte de signer une pétition est par définition individuel. Il n’empêche que cela unit, au moins face à des propos quand ils deviennent méprisants et insultants. Harry Bellet, mon cher confrère, je vous le dis : ce paragraphe de votre article est injuste. En matière de « hyène dactylographe », vous venez hélas de démontrer que vous en connaissez un rayon. Puissiez-vous cependant dormir en paix et que cela ne vous trouble. Nous sommes quelques uns, modestes quidams, à demeurer en éveil, juste pour faire contrepoids à des tombereaux de bêtise.

Un goût amer. Nous assistons impuissants à une dispersion qui est le fruit de l’indifférence : celle que le pays du surréalisme a réservé à son inventeur. Elle est aussi le fruit d’une incompétence : celle dont ont fait preuve les ministres de la culture de ces quarante dernières années, aucun n’ayant trouvé la solution qui aurait permis de sauver les collections d’André Breton. Harry Bellet est libre de donner à lire sa vision des choses. Contestable, en ce qui concerne les signataires de la pétition, je pense qu’elle l’est. Tout aussi librement, je la conteste donc. Mais son article – personne ne peut l’occulter – commence par cette analyse : « La vente du contenu de l’appartement de la rue Fontaine, où vécurent André Breton et sa dernière épouse, Elisa, devient, mais un peu tard, une affaire d’Etat. Le ministère de la culture a tenté, ces derniers jours, de persuader Aube Elléouët, la fille d’André Breton et de Jacqueline Lamba, de retirer des enchères ceux des manuscrits du poète qui n’avaient pas déjà été donnés à la bibliothèque Doucet. Trois coups de fil tardifs, comme s’il appartenait à Aube de pallier soudain quarante ans de carence de l’administration et des acteurs successifs de la politique culturelle. Trois coups de fil patelins, après qu’elle a fait don de trois œuvres majeures, la Danseuse espagnole, de Miro, le Portrait d’Hitler, de Brauner, et Arcane 17,de Matta. Plus le bureau de son père, avec tous les objets qui l’entouraient. Certes, elle avait par avance refusé l’idée d’une quelconque cérémonie de remerciements. Mais, là, le culot est immense… L’Etat est comme cela : on lui tend la main, il aimerait encore vous manger le bras ». Et cette analyse, mon cher confrère, je la pense juste. Je la partage donc. J’y vois le signe de votre indépendance d’esprit. Il fallait que cela aussi soit dit.

De même, je partage le désarroi exprimé par Mme Aube Elléouët Breton, la fille du poète (cf. Le Monde du 7 avril) qui n’a cessé d’appeler de ses voeux une autre solution que la mise aux enchères pour le devenir des collections de son père. Son texte m’a profondément touché. Il est juste. Cette vente est un crève-coeur. Que voulait Breton lui-même ? Nul, en effet, n’est fondé à faire parler les morts. Mais le fait, précisément, qu’il n’ait laissé de son vivant « aucune instruction sur le devenir de sa collection » laissait toutes les portes ouvertes à ce devenir. La dispersion m’attriste, comme m’aurait attristé une muséification. J’ai écrit, en décembre dernier, que la question de la sauvegarde du 42 rue Fontaine aurait pu être une occasion unique d’inventer une forme de sauvegarde, hors des schémas que l’on ne cesse de reproduire aveuglément. Cette chance est passée. Elle ne se représentera pas avant longtemps. Je consacre beaucoup de mon énergie au centre Joë Bousquet installé à Carcassonne dans la maison même où vécut le poète. Comme moi, nombre de passionnés souhaitant faire vivre et rayonner des maisons d’écrivains peuvent le regretter. Sans lieu, sans repère palpable, la mémoire s’effrite, l’esprit se dilue. L’objectif de tuer le surréalisme remonte à la création même du mouvement. C’est une tâche de longue haleine et ceux qui la conduisent, sournoisement, prendront tout le temps qu’il faudra et useront de tous les moyens pour parvenir à leur fin. Cette vente est une étape décisive, un tournant, une victoire pour les ennemis du surréalisme. On les reconnaît, sous d’autres traits, dans les tenants de la pensée unique, dans les zélés serviteurs et commis à la solde des pouvoirs. Cette vente est une défaite pour les amis du surréalisme et ce qu’il continue à représenter de dangereux : un rempart pour la liberté.

Mme Aube Elléouët Breton écrit : « Toute sa vie, Breton a acheté, vendu, échangé, donné des œuvres de la rue Fontaine. Professant le plus grand mépris pour l’argent, il a su l’utiliser pour faire connaître ou circuler les œuvres, notamment chez les collectionneurs qu’il conseillait. (…) André se passionnait autant pour une pierre ou un papillon que pour un Miro ». Le crève-coeur de cette vente chez Drouot, c’est que les collections de Breton sont happées par le seul appétit de l’argent et souillées par le cynisme des marchands. Cette vente, c’est la seule réponse possible de la société capitaliste à une question qui la dépasse. Nous ne vivons plus dans une société d’invention, mais dans une société de reproduction, une société qui – faut-il s’en étonner ? – a soigneusement marginalisé la création et la poésie pour les réduire, comme la culture en général, à des objets de consommation. C’est la leçon que je veux tirer aujourd’hui du triste épisode au goût amer que nous vivons.

Maintenant que le 42 rue Fontaine s’en va, il faut retrouver des forces. « Il n’a jamais été aussi nécessaire, pour l’honneur de l’Esprit, dût leur influence ne s’exercer que dans le désert, que soient encore suscités des hommes qui reprennent sans fin, avec cris de révolte et éclairs de poésie, la Protestation d’André Breton », avait écrit René Nelli au lendemain de la mort du poète, en 1966. Cela me paraît, chaque jour davantage, d’une bouleversante actualité. Cela, personnellement, continuera d’être au centre de mon combat.